Florence Vignon vit bien son cinéma

Scénariste, actrice et comédienne, réalisatrice et productrice, Florence Vignon  est une talentueuse "touche-à-tout" du cinéma. La Parisienne a  souvent collaboré avec Stéphane Brizé et reçu le César de la Meilleure adaptation en 2010 pour « Mademoiselle Chambon ». Invitée du Ciné-club du Bassin, en compagnie de l’universitaire bordelais Pierre Mazet, elle évoque, vendredi 25 septembre à Arès, une filière en crise, ses projets en cours et la richesse qu’aura représentée l’écriture d’un superbe mélo à la française d’après l’ouvrage d’Éric Holder. Rencontre.

Comment la professionnelle du cinéma que vous êtes traverse-t-elle cette période d’incertitude, marquée par une crise sanitaire, économique, culturelle et sociale sans précédent, particulièrement difficile pour le 7e art ?

Dans un état de sidération et d’inquiétude majeure pour le spectacle vivant, salles, spectacles, tous circuits de distribution confondus, alors que les flux générés sur les plateformes digitales [Netflix...] n’ont jamais été aussi importants.

 J’ai eu de la chance dans mon malheur pourrait-on dire, car je n’ai pas cessé de travailler. Comme scénariste, j’ai collaboré en 2020  à l’adaptation du livre « Esprit d’hiver » de Laura Kasischke, dont le casting est en cours pour un tournage pressenti en janvier 2021. Cette mini-série de trois épisodes (52 min.), réalisée par Cyril Mennegun, sera diffusée sur la chaîne Arte.  Comme productrice et réalisatrice, j’ai poursuivi entre 2017 et 2019 la préparation de mon premier long-métrage  « L’Echappée belle », inspiré de l’ouvrage « Ils désertent» de Thierry Beinstingel. L’acteur Jacques Gamblin a donné son accord.  Sara Giraudeau est également  pressentie pour jouer l’autre premier rôle. Le tournage devrait  débuter au printemps prochain.

Comment avez-vous donné corps au projet d’adaptation de « Mademoiselle Chambon » réalisé en 2009 par Stéphane Brizé ?

 Je suis à l’origine de ce choix. Je connais depuis longtemps Stéphane Brizé, pour lequel j’ai interprété en 1999 le rôle d’une contractuelle dans « Bleu des villes »,  une fable poétique à dimension sociale. Je suis tombée sous le charme du livre d’Éric Holder, un ouvrage évident, merveilleux pour nous. Hélas, les droits d’adaptation étaient  déjà réservés. Parce les deux tentatives d’adaptation sont restées inabouties, Stéphane et moi avons pu reprendre le fil du projet, acquérir les droits  et travaillé durant deux années pour transposer l’écrit à l’écran.

On n'adapte pas un livre, on rend compte de ce qui nous a touché

De quelle manière la scénariste que vous êtes passe de l’univers d’un auteur à son propre univers, pour conférer à l’œuvre une nouvelle écriture, une autre vision, peut-être une histoire différente ?

 Adapter, c’est  de ne pas rendre compte l’objectivité d’une histoire, mais se livrer à une interprétation du réel. L’écriture ouvre un champ de subjectivité. On n’adapte pas un livre, on rend compte de ce qui nous a touché dans l’ouvrage. Lequel n’est que le reflet de la subjectivité des lecteurs, avec autant de regards différents…  


Une carrière plurielle

 

Après sa sortie de l’ENSATT, Florence Vignon joue sur scène sous la direction, entre autres, de Hervé Tougeron, Geneviève Rosset, Olivier Py ou Krzysztof Kieslowski, et se dirige en parallèle vers l’écriture.

Sa rencontre avec Stéphane Brizé marque un tournant dans son parcours. Il lui confie le premier rôle de son long métrage "Le Bleu des villes"(1998), et entretien avec elle une collaboration prolifique : elle reçoit notamment le César de la Meilleure adaptation en 2010 pour "Mademoiselle Chambon", est nommée pour le César du meilleur scénario original en 2013 pour "Quelques heures de printemps".

Florence Vignon, César de la Meilleure adaptation en 2010 pour "Mademoiselle Chambon"
Florence Vignon, César de la Meilleure adaptation en 2010 pour "Mademoiselle Chambon"

On n’est pas dans une iconographie, par trop fidèle.  « Ne pas trahir pour mieux servir », tel pourrait être être le principe.

 

Cela a- t-il été difficile de restituer à l’écran cette ambiance sentimentale, si subtile et nuancée qui habite les personnages du livre d’Éric Holder?

Très difficile. Comment traduire en effet des sentiments, sinon de façon forcément subjective. L’histoire d’un trio,  Jean le maçon, Véronique l’institutrice et  Anne-Marie, la femme de Jean a constitué la trame du scénario. C’est vrai que dans le livre d’Éric Holder, il n’y a pas de passage à l’acte entre les amoureux, mais chez Stéphane Brizé et moi-même il y avait un parti-pris, celui de montrer à l’écran la puissance du renoncement. Il y avait là trois personnages forts, la famille aussi. Le scénario a évolué au fil du tournage. Le personnage d’épouse inquiète, interprété par Laure Atika est passé un peu en arrière-plan. L’écriture s’est recentrée sur le personnage de Jean, comme l’a voulu Stéphane Brizé.  Le film commence avec lui, il finit avec lui. Mais c’est aussi la narration d’une rencontre à la fois amoureuse et artistique.

 

Qu’avez-vous retenu de votre collaboration avec Éric Holder ?

 Ce dernier nous avait fait part de son émotion ressentie à la sortie de « Mademoiselle Chambon » dans une lettre  adressée à Stéphane Brizé, que ce dernier n’a toujours pas retrouvée. Il s’était montré très inspiré par cette histoire portée à l’écran. Une adaptation qu’il a approuvée parce qu’elle allait au cœur de son ouvrage.

L’écriture a-t-elle été influencée  par le  choix de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain, dans l’interprétation de Jean et Véronique ?

 Indéniablement, il y a une influence chez Vincent Lindon que Stéphane Brizé aura dirigé dans plusieurs de ces films. C’est une longue histoire qui continue.  Il joue dans son nouveau long-métrage « Pour le meilleur et pour le pire » (1). Stéphane Brizé creuse son sillon naturalo-sociétal (La loi du marché », « En guerre »). La sortie, prévue au printemps dernier,  a été repoussée au mois d’avril 2021.

Le Bassin d’Arcachon vous est-il familier ?

 Je suis venue ici  quelques fois. J’ai des amis qui résident au Cap-Ferret. Mais je garde des souvenirs éblouis de mes passages, et trouve les paysages très inspirants pour le cinéma.

(1)  Sandrine Kiberlain figure aussi au casting, dix ans après « Mademoiselle Chambon »

Propos recueillis
par Michel Mahler


  Florence Vignon a adapté dernièrement, toujours pour Stéphane Brizé, "Une Vie" (2016) de Maupassant. Elle a depuis écrit avec la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi ou encore Claude Mouriéras, et obtient le Bayard du Meilleur scénario à Namur en 2008 pour "Le Fils de l’épicier"  (2007) d’Eric Guirado.

Elle a également réalisé un court métrage, "Le Premier pas"(1999), sélectionné et primé dans plusieurs festivals, et prépare actuellement son premier long métrage, "L’Echappée belle".

Jusqu'en 2018, Florence Vignon a exercé plusieurs fonctions représentatives au sein du Centre national  du cinéma et de l'image animée (CNC) à  la fois comme  membre  et lectrice de la commission d'aide à l'écriture et réécriture. Chargée de cours  et intervenante à la Femis durant plusieurs années, elle participe aujourd'hui aux travaux des Scénariste de cinéma associés (SNA).

Projection Vendredi 25 septembre, à 20 heures, espace Brémontier à Arès. Ouverture des portes à 19 h 30.



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