Les Camarades

Le 21 octobre, Espace Brémontier à Arès

Un film de De Mario Monicelli. Avec Marcello Mastroianni, Renato Salvatori, Bernard Blier. 2h10. (Italie, 1966) - Comédie dramatique. NB-VOST

 Rencontre avec Jean-Antoine  Gili,  critique cinématographique et historien, auteur du livre « Le Cinéma italien ».

Engagé. Diffusé en 1963, « Les Camarades » s'inscrit dans la tradition cinématographique de la gauche révolutionnaire italienne d'après-guerre. Une verve d’inspiration hugolienne - Zola n’est pas loin, non plus ! - souffle sur la communauté  de travailleurs d’hommes, de femmes, broyés - au sens propre comme au figuré – dans un engrenage infernal. Dans le vacarme des machines, le film narre un accident du travail qui déclenche la colère des travailleurs et travailleuses et leur grève pour la dignité de leur existence. C'est au rythme des chants, des contradictions que pose la tenue d'un mouvement sur la durée, que l'on suit alors le long combat de ces ouvriers. Et pourtant le drame n’est pas loin.

Humaniste. Après l’immense succès remporté par deux comédies grinçantes - « Le Pigeon » (1958) et « La Grande Guerre » (1959)  puis le plus méconnu « Larmes de joie » (1960) -, Mario Monicelli (1915-2010) se lance dans le tournage des « Camarades ». Un œuvre sociale, marquante dans sa longue et prolifique carrière (51 films). Sous sa direction, des acteurs remarquables comme Marcello Mastroianni en professeur  solitaire, hors-la-loi et utopiste. Monicelli  mêle à la fois le récit d’un conflit social historique à celui de destins personnels. Avec nuance et sensibilité, il donne chair  à ces  modestes gens. La liesse des chants populaires et d’un accordéon rythmé procède en contrepoint aux images de dénuement et aux doutes.

Le film.  A la fin du XIXe siècle, l’Italie néo-rurale - encore jeune Nation - s’ouvre à l’industralisation. En 1905, des ouvriers italiens d’une filature de Turin s’organisent pour ne plus s’épuiser treize heures par jour à l’usine et obtenir de meilleures conditions de travail.



La soirée

Des mal-aimés

 S’il n’a pas connu le succès espéré à sa sortie en 1963, « Les « Camarades » figure cependant parmi les films préférés de Mario Monicelli, grand cinéaste italien. « Sans doute, parce que les réalisateurs gardent souvent un attachement particulier pour ces films qui n’ont pas rencontré leur public », remarque Jean-Antoine Gili, invité du Ciné-club du Bassin à l’occasion de la projection d’« I Compagni » (« Les Camarades ») à l’Espace Brémontier.

 Spécialiste reconnu du cinéma italien depuis de nombreuses années, le professeur émérite Jean Gili attribue –non sans nuances -  cette retenue du public, à une sorte de méprise pour un film social mal-aimé.   Cette connotation idéologique n' est pas étrangère, dans une Italie d'alors partagée entre les socio-démocrates contrôlant le pouvoir et un Parti communiste influent parmi l’élite culturelle et artistique.

Engagé. « Les Camarades » est un film certes incontestablement engagé, mais ce n’est pas non plus une œuvre démonstrative de la lutte des classes - quoique. L’œuvre majeure de Monicelli  reste d’abord comme l’a déjà écrit Jean Gili « une fresque sociale ambitieuse » sur le thème de la révolte d’une masse laborieuse et miséreuse, exploitée jusqu’à la corde dans une usine de filature turinoise au début du XIXe siècle. Le réalisme du film est  porté par un  scénario tendu  qui ne s’essouffle que rarement (malgré la longueur du film - plus de deux heures), des décors réels  (majoritairement dans une vieille usine  de textile de l'ex- Yougoslavie). L'ambiance glaçante comme un sombre hiver  est rehaussée par de superbes images en noir et blanc, ici restaurées. La qualité « magistrale »  de la réalisation et la constante fluidité des mouvements de la caméra ajoutant à l'emprise des "Camarades" sur le spectateur. 

Un film "bouleversant" qui a captivé un nombreux auditoire, séduit par le savoir éclairé de Jean Gili
Un film "bouleversant" qui a captivé un nombreux auditoire, séduit par le savoir éclairé de Jean Gili

Grand témoin

Jean-Antoine Gili, spécialiste du cinéma italien évoque le film "Les Camarades" comme "une fresque sociale ambitieuse". Photos Jean-Louis Burési
Jean-Antoine Gili, spécialiste du cinéma italien évoque le film "Les Camarades" comme "une fresque sociale ambitieuse". Photos Jean-Louis Burési

Attractions. A tout cela s’ajoute une distribution franco-italienne, avec l’interprétation inégalée  de Marcello Mastroianni,  dans le rôle d’un professeur brimé, pathétique agitateur politique dans « un milieu qui n’est pas le sien ». D’autres protagonistes, tels Bernard Blier, Annie Girardot (deux ans après « Rocco et ses frères »), François Perrier y débutent ou poursuivent leurs prometteuses carrières « transalpines ».Et même si - comme certains l’on fait remarquer -   le doublage systématique des comédiens pouvait paraître malsonnant ou décalé pour des oreilles françaises, habituées à leurs « vraies » voix ! Jean Gili rappelant néanmoins que Monicelli lui-même considérait Blier comme un acteur italien  et «  ne pensait ne pas avoir  affaire à un Français ! ». 

Empreinte. « Les Camarades », qualifié  de « bouleversant » par les spectateurs, met aussi en exergue l’implication de Mario Monicelli dans l’écriture du scénario et sa réalisation, comme le souligne Jean Gili.

  A travers le film,  et au terme d’une riche carrière cinématographique (près de cinquante films), cet acteur majeur de "la comédie italienne" (et non "à l'italienne") des  décennies 60-70  laisse une empreinte durable. « I Compagni » dans son réalisme social, la dureté de son histoire, mais aussi l’humanisme de ses humbles et miséreux  héros malgré eux,  en reste le témoin inoubliable...

Une partie de l'équipe du Ciné-club du Bassin en compagnie de Jean Gili
Une partie de l'équipe du Ciné-club du Bassin en compagnie de Jean Gili

On en parle