Solo

Le 18 novembre 2022 à la salle Brémontier à Arès

Un film de (et avec) Jean-Pierre Mocky. 1 h 23.  (France, 1970) - Policier

Intervenant. Eric Le Roy, chef de service Accès, valorisation et enrichissement des collections au Centre national du cinéma et de l'image (CNCI)

Polar libertaire.  Film destructeur et anarchiste, aux multiples rebondissements, « Solo » est un polar savamment orchestré, qui ne laisse pas un instant de répit ! Même si humour et ironie ne manquent pas, le film reflète le pessimisme fondamental de Jean-Pierre Mocky, son auteur. La musique, signée Georges Moustaki, apporte au film un aspect mélancolique. 

Un réalisateur atypique. De film en film, Jean-Pierre Mocky a imposé sa propre vision, celle d’un anar qui s’en prend aux institutions et aux valeurs consacrées. Sachant parfaitement utiliser ses acteurs (Bourvil dans « La grande lessive » - 1969, Michel Serrault dans « A mort l’arbitre » - 1984, …), filmant de façon très originale, capable aussi bien de créer un climat totalement irréaliste qu’une atmosphère déprimante. L’épaisseur du trait et la violence de la caricature auront sans doute détourné une partie du public de ses derniers films.

 Scénario inspiré de Mai-68. Peu après mai 68, Mocky se rend dans un bistro où un CRS aurait violenté un jeune homme. Il y entend d'autres jeunes, venus dans la même café en hommage au même garçon, parler de poser des bombes pour aller au bout de leur "révolution". Lui vint alors l'idée du scénario: Vincent Cabral (interprété par Mocky), violoniste cambrioleur, part à la recherche de son frère Virgile (D. Le Guillou) qui dirige un groupuscule terroriste, s'étant fixé pour objectif d'exterminer les représentants de la bourgeoisie... Jean-Pierre Mocky a dit que "Solo" était né de sa déception de Mai-68.

Succès critique et public. Tourné en avril 1969, « Solo » (co-production franco-belge) sort en octobre de la même année. La critique est positive et le film enregistre près de 700 000 entrées. Dans une critique parue dans « La Saison Cinématographique 1970 », Jacqueline Lajeunesse écrit « Le film de Mocky est un constat féroce, celui de l’impasse où mènent certaines révoltes, celui de la médiocrité de notre société. « Solo » est une satire de la sottise sous toutes ses formes. La seule note d’espoir est apportée par Vincent, capable par amour fraternel de se transformer et d’agir … ». 



" Mocky a fait son Mai-69"

Homme de théâtre, acteur, réalisateur, scénariste, monteur, producteur, distributeur - et on en passe -  Jean-Pierre Mocky est un homme-protée qui a marqué un demi-siècle de cinéma français. Il laisse 70 films à sa disparition en 2019. Inimitable par son style bigarré, irrévérencieux et résolument marginal, Mocky  reste un autodidacte, cinéphile et incontestablement lettré. Il possédait aussi l’intégralité de la collection la Série-Noire, l’une de ses sources d’inspiration… 

 Mocky aura pleinement joué de cet anticonformisme viscéral. De son vrai nom Jean-Paul Adam Mokiejewski, le réalisateur s’est évertué  à proposer un cinéma différent, et des films « au montage serré, moderne,  vif de par son écriture cinématographique. »  Il s’agit bien là de la marque « Mocky ».

 

  En connaisseur  familier de « l’univers Mocky », Éric le Roy considère le film post soixante-huitard Solo  comme « une d’œuvre  charnière ». Il a été réalisé  [en 1969] « à l’arrache », en trois semaines, avec peu de moyens et peu de prises  - deux ou trois au maximum -  filmé dans une sorte d’urgence, trait remarquable  de la plupart de ses réalisations. 

Désillusion

Ce côté « bricolé » n’altère pas en fait  le message  quasi subliminal du  cinéaste niçois. En faisant un film sur l’après Mai-68, Jean-Pierre Mocky a voulu établir un constat désillusionné de l’état de la France au sortir  de  « cette révolution mort-née » qui a  bouleversé la société voici plus de cinquante ans.   « Solo traduit l’état d’un cinéma français qui ne lui correspondait pas », ajoute  son ancien assistant de production.  « Ce n’est pas un film sur les événements de 1968, contrairement à ce que beaucoup considèrent. En fait,  Jean-Pierre Mocky a aura voulu faire son Mai-69 ». En solo… 

Beaucoup ont découvert "Solo" et la révélation du "système Mocky".        Photos Jean-Louis Burési
Beaucoup ont découvert "Solo" et la révélation du "système Mocky". Photos Jean-Louis Burési
Eric Le Roy, ancien assistant de production de Jean-Pierre Mocky
Eric Le Roy, ancien assistant de production de Jean-Pierre Mocky

« Il faut accepter  le cinéma de Mocky tel qu’il est », ajoute Éric Le Roy à l’adresse de quelques spectateurs déconcertés.  C’est un cinéma un peu ‘’brut de décoffrage’, celui d’un autodidacte qui a su créer son univers particulier avec sa propre écriture.  C’était un bricoleur et un électron libre. Sa force a été d’avoir créé sa propre famille de cinéma : une équipe de techniciens qui le rejoignait de film en film,  des acteurs débutants comme confirmés - Bourvil, Jean-Michel Serrault. Tous acceptaient le système  Mocky, en fait une très bonne école pour comprendre comment le cinéma s’est bâti ». 

Une bonne entreprise

Homme protée,  « bricoleur » mais aussi homme d ‘affaires avisé. Car Jean-Pierre Mocky a racheté les droits d’exploitation de tous ses films, contribuant ainsi à pérenniser sa carrière.  Solo, en dépit des craintes de son auteur, a connu un excellent accueil  tant du côté critique que celui des spectateurs.  Déjà la baraka…

  L’œuvre de Mocky fait partie d’un programme de restauration initié par la Centre national du cinéma et de l’Image (CNCI). 17 films ont été restaurés et numérisés (tel  Solo). Huit autres le seront en 2023. Une reconnaissance méritée.