Un film de Ritesh Batra. Avec Irfan Khan, Nimrat Kaur. 1 h 44. VOST (Inde-France, 2013). Comédie sentimentale
Intervenante : Amandine d'Azevedo, maître de conférences à l'université Paul-Valéry -Montpellier 3 en études cinématographiques et audiovisuelles, spécialiste des cinémas indiens.
L'histoire. Une erreur dans le gigantesque service – pourtant très efficace - de livraison de lunch-boxes (boîtes à déjeuner) à Bombay met en relation une jeune femme au foyer, délaissée par son mari, et un homme proche de la retraite. Par le biais de ces boîtes, ils entament une correspondance et se mettent à rêver à une autre vie.
De la maison au travail. Le réalisateur Ritesh Batra a eu l'idée de "The Lunchbox" grâce au phénomène des "dabbawallahs") à Bombay ("Dabba" est le titre original du film), entreprise qui livre des repas le midi, préparés par des femmes à leurs maris afin que ceux-ci mangent des "plats maison" sur leurs lieux de travail. Un système de livraison par couleur est utilisé par les employés - le plus souvent illettrés - mais aussi un système presque sans faille selon l'université d'Harward qui a étudié le principe et a conclu que seulement un repas sur un million était acheminé vers la mauvaise adresse. C'est cette cantine égarée qui est au départ de l'intrigue du film.
Des mots doux. Le film séduit grâce à des comédiens indiens excellents. Son ambiance tant visuelle que musicale, est bien conduite. La maîtrise technique de Ritesh Batra est remarquable pour son premier long-métrage. "The Lunchbox" dépasse les clichés de la "rom' com" pour se concentrer davantage sur ses personnages que sur de possibles situations comiques ou romantiques. De discrets sourires, de tendres regards, de simples gestes accompagnent pleinement le film.
"The Lunchbox" est un film qui se devine plutôt, se déguste surtout, s'offre aux odeurs, aux saveurs qu'exhalent ces fameuses "dabbas" (gamelles) quand survient la pause déjeuner dans la multitude des officines indiennes.
Sous des aspects de comédie romantique, Ritesh Batra offre un autre regard, culturellement plus transgressif et fantasmatique. Une façon intelligente de pointer du doigt les travers d'un imposant continent parcouru par mille courants antagonistes, modernistes ou traditionnels.
D'emblée, le réalisateur propose ici une vision documentariste d'une grande ville comme Bombay à travers des paysages urbains, ses modes de transports, la vie de tous les jours.
R. Batra n'hésite pas à porter sa caméra dans les rues ou les bureaux. Un parti-pris plutôt audacieux, quand on connait l'emprise de "l'hydre" Bollywood sur la production cinématographique indienne, essentiellement réalisée en studio.
L'image gagne en percussion quand elle est ici nourrie par un travail narratif subtil, entre ombres et lumières. Très régulier dans sa construction, " The Lunchbox" est un film
"doux-amer", ainsi que le définit l'intervenante et enseignante de cinéma, Amandine d'Azevedo. Les personnages se révèlent progressivement, au bout d'un processus intérieur, suggéré par le son et
la musique
- déterminants - le regard ou la gestuelle. Ritesh Batra se concentre sur leur histoire avec dextérité pour transmettre toute l'émotion au travers de simples attitudes. Leur quotidien
devient soudainement épicé mais empli de douceurs qui sentent bon. Comme une délicieuse nourriture, il emplit l'esprit avec bienfaisance. Et rend attentif, curieux et heureux.
C'est une erreur dans le système de livraison par porteurs considéré comme sans faille des " dabbaswallahs" qui donne l'élan à l'intrigue du film, pétri de justesse tant technique que scénaristique. Amandine d'Azevedo souligne la fiabilité d'un phénomène déconcernant et inexpliqué - malgré de savantes études... occidentales - pour tous les inconditionnels des algorithmes. Justement, l'illustration cinématographique de cette faille humaine confère au film une magie captivante.
Une découverte délicieuse pour beaucoup, sur l'Inde, son cinéma, la condition des femmes aussi et ses traditions.