L'Ombre de Staline

Un récit basé sur des faits historiques. Journaliste débutant, le gallois Gareth Jones (James Norton) débarque en 1933 à Moscou dans le but d’interviewer Staline sur le « miracle soviétique ». Peu de temps après son arrivée, il s’aperçoit qu’il est surveillé, tandis que son principal intermédiaire disparaît. Une source l’amène à s’intéresser à l’Ukraine. Parvenant à déjouer les services de sécurité, il saute dans un train, en route vers une réalité inimaginable …

 Une œuvre poignante. Habituée des sujets historiques (notamment « Europa Europa »  (1990) et « Sous la ville »          ( 2011), films qui évoquaient la shoah), la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland nous livre une œuvre sans concessions sur un pan mal connu de l’histoire : l’Holodomor. Cette grande famine, orchestrée en temps de paix – entre 1931 et 1933 - par le pouvoir soviétique, a décimé l’Ukraine (4 millions de morts) à l’aube de la seconde guerre mondiale.

 Un écho aux lanceurs d’alerte. Si on peut s’étonner de la naïveté et de l’idéalisme du jeune journaliste, il est aussi possible de percevoir dans la solitude de sa lutte un écho aux figures contemporaines des « lanceurs d’alerte » se débattant parmi les « fake news ». Gareth Jones est confronté à l’indifférence d’autres correspondants étrangers présents en URSS, puis, de retour au Royaume-Uni, ostracisé par la société britannique.

 Un film prémonitoire. Sorti dans les pays anglo-saxons sous le nom de « Mr. Jones », le film de Agnieszka Holland a été réalisé en 2019, soit trois ans avant le déclenchement de la guerre en Ukraine par le pouvoir russe, en février 2022. A ce jour, une vingtaine de pays (dont la France, en mars 2023) ont qualifié et reconnu officiellement l’Holodomor comme « génocide ». Certains pourront voir dans la situation actuelle une sorte d’acharnement du pouvoir russe sur son voisin ukrainien …

 Une figure de proue du cinéma polonais. Née à Varsovie en 1948, Agnieszka Holland étudie le cinéma à l’Académie du film de Prague (FAMU), avant de devenir scénariste puis réalisatrice. A son retour en Pologne, elle est assistante de Krzysztof Zanussi et d’Andrezj Wajda. Son premier film « Acteurs provinciaux » remporte le Prix Fipresci de la critique à Cannes en 1980. La réalisatrice a vu plusieurs de ses films nominés aux Oscars, dont « Amère récolte » (1985), « Europa Europa » (1990).

Le journaliste britannique Garreth Jones  reste-il pour l'Histoire ce lanceur d'alerte d'avant-garde qui a révélé au monde l'histoire cruelle du génocide ukrainien en 1932-1933, conduisant à l'extermination d''une population rurale par la faim?  Le  journaliste sera assassiné  en Mandchourie (Mongolie), à l'âge de 30 ans, vraisemblablement à l'instigation des services secrets russes. Un lourd tribut payé au courage et au combat pour la vérité. Avec clarté, Pierre Mazet l'assure : Garreth Jones s'est battu  avec  pugnacité seul contre tous. Contre la veulerie des hommes et la cécité des Nations... Le jeune Gallois est l'honneur de la profession,  en bute avec une société de mensonges et de dissimulations, à des confrères vendus, à la complaisance des médias, à la machine insidieuse de la propagande d'Etat. Le film historique et glaçant d'Agniesza Holland traite avec talent un sujet délicat, certes avec quelques longueurs et des ellipses évitables, mais comment montrer autrement à l'écran la lente agonie  des millions de paysans ou cette scène de cannibalisme en chaumière? 

"L'Ombre de Staline" souligne aussi toute l'ambivalence d'un système politique, le totalitarisme et la propagande qui lessive les cerveaux. Toute ressemblance avec des événements qui déchirent actuellement l'Europe de l'Est n'est plus du tout fortuite. Edifiant.